Ainsi les loups se sont déguisés en agneaux - et même en bergers. Ceux qui devaient prendre soin du troupeau en ont fait leur pâture. Et nous voilà sidérés, au point que toute considération semble impossible. Le plus souvent, en effet, nous sommes pris entre le journalistique et
l'hagiographique : d'un côté, le fait brut nous laisse en position de spectateur désabusé ; de l'autre, le saint tombé (l'impossible !) nous pousse à nous abuser nous-mêmes, courant tantôt au lynchage tantôt au déni...
Ce petit livre tente d'échapper à pareille alternative. Revenant notamment
sur l'« affaire » des frères Philippe et de Jean Vanier, il en propose une lecture biblique : ne rien minimiser de ce qu'elle a de grave, ne pas négliger
ce qu'elle recèle de grâce. Ne confirme-t-elle pas une Bonne Nouvelle qui
nous avait depuis longtemps avertis du pire ? Gardez-vous des faux prophètes, ils viennent en vêtements de brebis... Aussi nous donne-t-elle de penser le risque inouï de l'Incarnation, et de remettre en cause certains aspects de la spiritualité récente : l'esprit d'enfance, la compassion qui excuse tout, gages donnés à l'irresponsabilité, boulevard pour ces « monstres mous » dont Bernanos annonçait l'empire.
S'il est un bon usage des abus, c'est de faire en sorte qu'ils nous interrogent personnellement. Les apôtres furent envoyés comme des agneaux au milieu de loups. Il faut en conclure que l'Église n'est constituée que de loups convertis (et tant mieux ! sans quoi nous ne serions que des moutons bêlant). Gare à nous, donc, et à cette petite gueule carnassière qui s'ouvre à même nos coeurs.
Fabrice Hadjadj a reçu le prix Montherlant de l'Académie des Beaux-Arts et le prix cardinal Lustiger de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre. Directeur de l'Institut Philanthropos (Fribourg, Suisse), il a été membre du Conseil pontifical pour les laïcs.